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Réflexions sur la situation linguistique en Haïti : Entre propagande et discours scientifique

Dernière mise à jour : 31 oct.

INTRODUCTION


L’attitude de certains intellectuels (experts linguistes et non linguistes) qui réfléchissent sur la question linguistique haïtienne semble confirmer la thèse d’Ellul (1990 : 158-160), selon laquelle l’individu moderne éprouve un besoin inconscient de propagande dû à sa faiblesse devant les événements politiques et économiques mondiaux qui le dépassent, l’écrasent et l’isolent. Impuissant devant les agressions des pouvoirs politiques et économiques capitalistes, l’individu moderne ordinaire a paraît-il besoin de ce « voile idéologique » qu’est la propagande pour sortir de l’isolement, pour s’assimiler à la masse tout en valorisant son individualité à travers son « engagement social », qui sera toujours au profit du système, car c’est le seul moyen dont il dispose pour tirer son épingle du jeu démocratique des temps hypermodernes. La tendance actuelle est de croire que le XXI e siècle marque le début de l’ère « post-factuelle » ou de l’époque de la « post-vérité », comme si le fait par certains experts et certains politiciens de manipuler les faits était un art nouveau propre au règne de la « médiocratie » 2 actuelle. Or, nous savons que de tout temps les classes dirigeantes partout dans le monde se sont arrangées pour se soustraire à l’exigence morale du devoir de véracité.


Comme le souligne Arendt, « il n’a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais terme » (2010 [1964] : 289). Que ce soit la « post- vérité », qui consiste à faire de la vérité une totale abstraction, ou celle des acteurs nationaux et internationaux capables intellectuellement et moralement d’établir la différence entre le vrai et le faux, mais qui choisissent de remplacer la vérité par des mensonges pour des raisons inavouées et inavouables, le phénomène auquel cette nouvelle expression à la mode fait référence ne date pas de l’époque contemporaine. Lorsque Arendt affirme que « [l]es mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien et de démagogue, mais aussi de celui d’homme d’État » (Ibid.), elle n’exagère pas. La plupart des discours politiques et des propos dits scientifiques tenus par des « experts » sur la situation linguistique en Haïti en sont un exemple palpable parmi d’autres dans le monde. Il s’agit ici de dévoiler 3 des pratiques de domination sociale liées à l’usage des langues en Haïti ainsi que certaines spéculations formulées dans des discours pseudo-scientifiques qui semblent pourtant faire autorité dans la sphère des études sur la question linguistique haïtienne.


Si, dans un esprit scientifique, on accepte que la connaissance réelle se fonde sur l’observation méthodique des faits, on tombera aussi d’accord avec l’idée, partagée par la plupart des philosophes et des scientifiques, que l’objet premier de la science ne peut être autre chose que la recherche d’une certaine vérité, celle que l’on acquiert par l’expérience et la pratique. Dans son article « Critères de vérité. Leurs conséquences pour la linguistique », Mańczak pose d’emblée la question suivante : « Pourquoi les linguistes ne s’intéressent-ils pas au problème de savoir comment on peut distinguer le vrai du faux dans leur discipline ? » (1988 : 51). Sachant qu’il est communément admis que la linguistique est une discipline scientifique, Mańczak trouve étonnant que la pratique comme critère de vérité n’y joue aucun rôle (Ibid. : 52). Toujours dans la même veine, le linguiste haïtien Yves Dejean parle de « démesure dans l’irrationalité » pendant qu’il répertorie un ensemble « d’erreurs », de « mensonges grossiers », de « demi-vérités » et de cas « d’irrationalité démesurée et de suprême aberration » (2004 : 246) observés dans le discours de certains intellectuels et des autorités politiques quant à l’usage des langues sur le territoire haïtien.



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